L'HEXACTITUDE DU GESTE

Au pays de Cocagne

        Alors que le soleil brille sur Toulouse, une opération bien particulière s'amorce quelque part dans le quartier des Minimes. Cuves en ordre de bataille, cordes à linges tendues, tancarvilles dressés, Annette Hardouin et Yves Patissier ont transformé la cour de leur atelier en teinturerie. Le couple est créateur et ennoblisseur textile et pour cela il maîtrise l'intégralité de la chaîne, c'est donc une étape primordiale qui s'annonce. Elle va leur permettre de créer la matière première qu'ils vont employer au quotidien. Madame est styliste, Monsieur est modéliste, à eux deux ils ont lancé la marque AHPY avec un point commun à toutes leurs créations: le pastel. Une fois que l'on pousse la porte de l'atelier, c'est un univers tout bleu qui s'ouvre au visiteur. Écharpes, kimonos, doudous, ... les pièces n'ont de limite que l'imagination des créateurs. Mais au fait, pourquoi le pastel? Avant d'être une couleur, le pastel est une plante herbacée de la même famille (Brassicaceae) que le colza. Elle est verte et produit des fleurs jaunes. Avant la conquête de Indes et l'arrivée du bleu indigo, c'est le pastel qui fournissait les pigments bleus pour tous types d'usages. Il était cultivé dans son immense majorité entre Toulouse, Albi et Carcassonne. La région en tire son surnom de pays de cocagne, la cocagne étant la boule de feuilles de pastel broyées qui permettait le transport du matériau. Annette a préparé ses bains, toute de bleu vêtue, elle va se muer en chaman du tissu. Le linge blanc est trempé et remué quelques minutes mais il va ressortir de la cuve jaune, presque fluorescent. Après quelques instants de séchage, le tissu va progressivement changer de couleur pour devenir le bleu délicat, si caractéristique du pastel. Impressionnant virage chromatique dû à un phénomène d'oxydation. Annette confie qu'au Moyen-Âge, les gens qui travaillaient le pastel passaient pour des sorciers tandis qu'Yves livre un autre point clé: c'est le seul pigment naturel qui ne décolore pas! De surcroît la plante aurait des vertus cicatrisantes encore méconnues mais très sérieusement étudiées. On n'a pas fini de (re)parler du pastel...